CIC 2022 : Conférence Internationale du CERDOTOLA 2022

Information sur l'intervenant

Pr Wenceslas Betu Mulumba

Université de Limoges

France
Diplômé d’études supérieures et Agrégé de Philosophie (Université catholique du Congo/Facultés catholiques de Kinshasa), Diplômé en littératures francophones (université de Limoges), Essayiste (auteur notamment de : Afrique et Philosophies. Pour une philosophie littéraire de l’interculturalité et de la bissoïté, Paris, Edilivre, 2017 ; Poïesis et praxis comme sens du phénomène de l’accompagnement, Paris, Editions Spinelles, 2020). Il est Consultant, Pôle-emploi/France.
 

Titre de la communication

« Ubuntu et Bisoïté comme normes pour une africanité plurale, inclusive et universelle »

Résumé de Communication

Résumé

« L’objet Afrique » (des sciences humaines et sociales, en particulier) est souvent révélateur du rapport parfois pervers entre pouvoir et savoir, révélation qui accrédite la faisable distinction entre « vérité du pouvoir » et « pouvoir de la vérité ». Il faut dire que « le sujet Afrique » s’est trouvée dans son parcours historique dans une situation paradoxale de choix alternatif/exclusif ou de choix mixte. Une philosophie de l’histoire comme celle de C.A. Diop suggère qu’effectivement l’Afrique a connu des phases successives de pouvoir de la vérité, de la vérité du pouvoir et enfin de la mixité (V.Y.Mudimbe&B.Jewsiewicki, 1993). Ce qu’on appelle la Renaissance Africaine étant justement, le moment de mixité où le pouvoir de la vérité cherche à triompher de la vérité du pouvoir ou en tout cas à minimiser considérablement ses effets. 

Dans l’expression « pouvoir de la vérité », la vérité, notamment sur le sujet Afrique est une vérité du sujet Afrique, c’est-à-dire, la manière ou les manières propres aux africains  de se rapporter à eux-mêmes, à la réalité transcendante, aux autres et aux choses, la compréhension qu’ils en ont ainsi que les projections existentielles qui en découlent, bref, ce que C.A.Diop considère comme l’ensemble des vérités cachées depuis que l’histoire de l’Afrique était et est aux mains des « africanistes » (F-X. Fauvelle-Aymar, 2000) ou « anthropologues » complaisants. Vérités volontairement cachées donc que C.A.Diop lui-même s’est missionné, à travers son œuvre rigoureusement scientifique, de dévoiler, de montrer. Pour lui comme pour les héritiers de son œuvre, ces vérités ne sont nullement métaphysiquement et immuablement essentielles, mais bien plutôt, essentiellement naturelles et historiques. C’est ainsi que dans une approche historico-comparative (Nations nègres et culture, 1979)  rappelant celle de la philosophie de l’histoire de Hegel (B.Okolo Okonda, 2010), il a pu relever les spécificités historico-naturelles entre négro-africains et eurasiatiques comme suit : « L’histoire de l’humanité sera confuse aussi longtemps que l’on ne distinguera  pas deux berceaux primitifs où la nature a façonné les instincts, le tempérament, les habitudes et les conceptions morales de deux factions de cette humanité avant qu’elles ne se soient  rencontrées, après une longue séparation durant la préhistoire. Le premier de ces berceaux (…) est la vallée du Nil, depuis  les Grands Lacs jusqu’au Delta, en passant par le Soudan (…). L’abondance des ressources de la vie, le caractère sédentaire et agricole de celle-ci, les conditions spécifiques de la vallée du Nil, vont engendrer chez l’homme, c’est-à-dire le Nègre, une nature douce, idéaliste et généreuse, pacifique, imbue d’esprit de justice, gaie. Toutes ces vertus étaient, pour la plupart, indispensables à la coexistence quotidienne….Par contre, la férocité de la nature dans les steppes eurasiatiques, l’infertilité de ces régions, l’ensemble de conditions matérielles dans ce berceau géographique, forgeront chez l’homme les instincts nécessaires à son adaptation au milieu(…). Dans cette activité ingrate que le milieu physique imposait à l’homme, était déjà impliqués le matérialisme, l’anthropomorphisme qui n’en est qu’un cas particulier, l’esprit laïque » (cité par F-X. Fauvelle-Aymar, 2000, P.35). Dans le même ordre d’idée A. Mbembe (2013,10) rappelle que  « d’un bout à l’autre de son histoire, la pensée européenne a eu tendance à saisir l’identité non pas tant en termes d’appartenance mutuelle (coappartenance) à un même monde qu’en termes de relation du même au même, de surgissement de l’être et de sa manifestation dans l’être d’abord, ou encore dans son propre miroir ». La recherche prospective (Afrique 2025, 2003) n’est pas du reste sur ce sujet en affirmant l’originalité démographique et géoculturelle de l’Afrique qui a vu les africains survaloriser les liens sociaux au détriment de la compétition et de l’investissement. Spécificité aux aspects à la fois positifs (la restauration des liens sociaux dégradés étant une urgence dans les sociétés industrialisées) et négatifs (car constituant une ou la raison de fond du non décollage de l’Afrique au sein de l‘économie mondiale).

Quant à l’expression « vérité du pouvoir » elle fait allusion à ce que C.A. Diop dénonça  sous le concept de falsification des vérités socio-anthropo-historiques sur l’Afrique et qu’A. Mbembe (2013) appelle assemblages vertigineux au profit de la légitimation des entreprises impérialo-capitalistes et mondialo-néolibérales (traite, colonisation, néo-colonisation, mondialisation).

Nous voulons proposer ici une réflexion critique qui   sans s’interdire de recourir au dévoilement scientifique des vérités historico-naturelles qui ont mobilisé et mobilisent  secrètement les africains dans leurs existences ante-rencontres et dans leurs résistances et efforts post-rencontrent pour se libérer, s’émanciper, entend privilégier l’enquête ou plutôt la méditation appropriante sur les paroles premières, en l’occurrence, des symboles poetico-parémiologiques qui abritent et sont susceptibles de montrer l’essence naturelle et historique africaine à travers les concepts d’Ubuntu (humanité ou art d’être humain) et bisoïté, à lire Bissoïté (c’est-à-dire nostrité)Concrètement, notre méditation va porter à la fois sur le proverbe zulu/xhosa: umuntu ngumuntu ngabantu, qui signifie « L’homme n’existe qu’au travers d’autrui », autrement dit, « Je n’existe que parce que nous existons »(. N.S, Kabuta , 2003 ; 2010) et sur le proverbe luba/Congo :Tuya too, tuimana. Tubikila mutoto wa mulu, witaba », qui veut dire « Faisons quelques pas, puis faisons halte : Faisons appel à l’astre céleste, et qu’il grée » (I.M. Tshiamalenge Ntumba, 2014). 

Le but de l’approche normative (non sans teneur prospective) de notre méditation, sera de montrer le processus par lequel les principes réciproquement endoconsistants d’Ubuntu et de Bisoïté, se sont constitués en normes, c’est-à-dire, en compétences, en règles de vérité ayant force de loi naturelle socio-historique, porteurs de la capacité critique d’appréciation, de qualification et de correction incluant des techniques de transformation de la société ou de sociétés. Le caractère normatif de ces deux principes ne se limite pas à cette capacité critico-transformatrice mais s’étend aussi à leur capacité de production d’autres principes normatifs comme la responsabilité, la justice,…du fait de la  transcendalité et l’universalité de Bisoïté et d’Ubuntu se révélant ainsi être des super normes, des Grundnorm, des normes fondamentales capables d’assurer aussi bien un normativisme global ou universel que l’unité normative de l’humanité en particulier et l’unité Théo-cosmico-humain en général. On ne peut parler de l’unité normative cosmico-humain comme du normativisme plantaire ou universel sans évoquer des questions portant sur la mondialisation, les inégalités en Afrique, la problématique de la croissance économique et du développement humain, etc.

 

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