Docteur en sciences de Gestion de l’Université de Paris X-Nanterre (2011), Serge Alain Godong a enseigné l’économie du travail au sein de la même université, avant de faire siège dans son pays natal, Université de Yaoundé II. Ses enseignements et travaux portent sur le journalisme et la communication (qu’il a longuement pratiqués), l’économie institutionnelle et plus encore les problématiques de gouvernance (deux ans d’ancrage au Centre de Développement de l’OCDE à Paris) et, bien sûr, sur la gestion des organisations publiques et privées. Chercheur associé au Laboratoire « Gestion & Société » en France, il est l’auteur d’un ouvrage grand public (Implanter le capitalisme en Afrique, Kharthala, 2011) et de nombreux articles scientifiques dans des revues internationales. Ses centres d’intérêt portent à identifier et questionner la compatibilité entre les modèles de management prescrits par les référents occidentaux et les cultures africaines. Sa vie professionnelle est tout aussi riche et diversifiée, bien que majoritairement dominée désormais par des cheminements de type entrepreneuriaux
Résumé
Une partie significative de l’ancrage théorique dans les sciences de gestion repose sur le paradigme du « principal-agent ». Tel que défini par Jensen et Meckling (1976), il s’agit d’« un contrat par lequel une ou plusieurs personnes (le principal) engage une autre personne (l’agent) pour exécuter en son nom une tâche quelconque qui implique une délégation d’un certain pouvoir de décision à l’agent ». Dans l’exécution des directives du second par le premier (et donc des formes d’organisation et de dispositifs productifs qui s’en suivent), se trouve donc la question centrale des asymétries d’information issues de cette relation, qui entraine deux problèmes : la sélection adverse et le risque moral. Dans les deux cas, une angoisse pour la plupart des pays africains qui, à l’instar du Cameroun, voient établis plus de 56% des capitaux circulants dans leurs économies appartenir aux multinationales étrangères. En clair, le gros de la direction opérationnelle, stratégique et programmatique de ces entreprises jusqu’ici contrôlé par des mains – et donc, des impensés, voire des intérêts non africains.
Comment, dans de telles conditions, faire des Africains des individus qui pèsent dans la détermination des critères, des agencements et des finalités de « leur » capitalisme – celui qui est installé et opère sur « leur » terre – dès lors qu’une grande partie de ses déterminants sont jusque-là dessinés, voire imposés de l’extérieur ? Existe-t-il des formes d’imagination alternatives au plan du management des organisations productives, du moment où diverses théories économiques continuent de poser les investissements directs étrangers (IDE) comme la modalité dominante (voire unique) par laquelle l’Afrique et les Africains accéderaient demain aux technologies et aux gains de productivité nécessaires pour leur insertion compétitive dans les chaînes de valeur mondiale et les dynamiques de la concurrence internationale ?
Notre projet porte à la question : existe-t-il un cadre théorique et programmatique par lequel pourrait se réaliser la jonction que nombre d’Africains rêvent entre les ressources dont ils disposent, l’ambition émancipatrice qu’ils proclament, pour se donner une couleur authentique, voire unique, dans le linéaire mondial du capitalisme marchand ? En d’autres termes, pour faire corps avec le système productif international et accéder au « développement » ou à l’« émergence », l’Afrique est-elle tenue de faire chemin avec les « bonnes pratiques » reconnues comme telles dans le domaine de la direction des organisations productives, ou doit-elle inventer les siennes propres, au regard de ses tonalités spécifiques, de ses attentes et de ses cultures mais aussi de ses expériences et apprentissages passés de ces mêmes « bonnes pratiques » ? De quelle capacité d’imagination doit/peut-elle faire montre sur ce terrain ?