Résumé
M’appuyant sur l’analogie et l’herméneutique des mythes et textes sacrés, et ce, à la lumière de la pensée platonicienne, je reconstitue, du peuple gangoulou (sous-groupe ethnique teke du centre du Congo), les significations, figures et codes du pouvoir qui se dégagent du conte mythique Ng’ékel-ékel, « détenteur de queues ». Mettant aux prises les animaux (dépourvus alors de queues) avec Mbi’in (une gerboise des savanes) autour de la conquête de o’ngâ, un figuier, dont elle est la propriétaire, mais qu’elle a placé sous la garde de Le’mpfun, le tarsier, le conte consacre finalement la victoire de Mbi’in sur Ng’ékel-ékel dont la chute entraîne le déliement des queues au profit des animaux. Cependant, absent à la trouvaille des queues, E’mpâ-mpâ, le Margouillat, se dispose malicieusement de la queue de son ami Ng’otun, le Crapaud...
Au travers de ces luttes et ruses des animaux se dessinent, d’une part, aussi bien les états de conscience et caractères que la volonté de puissance, les ambitions de conquête et de domination que les êtres humains expriment les uns vis-à-vis des autres pour de intérêts égoïstes, de conservation de soi ou de survie, et, d’autre part, une invite à la prise de conscience de la double nature humaine d’être à la fois Ng’ékel-ékel, être monstrueux, et Mbi’in, être ensoleillé, porteur d’espérance divine. Ainsi, ma réflexion s’organise en trois moments : 1. Des péripéties du récit de Ng’ékel-ékel. Les différentes phases de ce récit élucident, sous forme allégorique, d’une part, les enjeux conditionnés et inconditionnés de l’existence humaine, et, d’autre part, la complexité des liens entre le corps et l’âme que consacrent deux chants dont la structure des partitions traduit mathématiquement la convergence entre langage et musique comme expressions sacrées de l’esprit et l’agir humains.
2. De la symbolique des figures et codes de pouvoirs dans le mythe de Ng’ékel-ékel. La tradition gangoulou présente du monde et de l’homme une quadruple structure métaphysique : mbour, l’être physique ou la personnalité biologique ; o’kuï, son double invisible ou dimension psychique ; nk’ri, son archétype ou principe originel ; Ndzian-mpouh, la Pureté suprême ou divinité absolue d’où émane tout ce qui est et existe. A la lumière de cette structure s’élucident la nature et les fonctions des différents personnages du récit, à la fois comme états de conscience, figures et codes de pouvoirs, tant au plan physique que métaphysique.
3. De la victoire sur soi comme perspective d’un véritable fondement éthique de l’humanité. Tant au plan physique que métaphysique, ce « combat » - qui consacre la victoire de Mbi’in sur Ng’ékel-ékel - constitue une sublime invite : de l’éviction de l’animalité ou « démon collectif » (Ng’ékel-ékel) qui sévit et gouverne chaque homme par la conquête du chemin spirituel et au moyen de l’éveil du divin en soi (Mbi’in) en tant qu’essence véritable latente de l’homme comme gage du devenir « humain » du monde ou de l’humanité. Cette étude met en évidence un triple intérêt : 1° l’élaboration d’un paradigme d’étude scientifique des mythes africains comme fondement d’une véritable métaphysique ; 2° la philosophie des contes comme fondement des spiritualités et religions dans les traditions africaines ; 3° la détermination du « sacré » comme fondement de tout pouvoir et gage du devenir humain.